Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

29/04/2013

Buzz Osborne et Kim Thayil par Jeff Gilbert circa 1996...

Bon, les gars les filles, dur dur de tout faire en ce moment, et là j'ai un peu laché le blog... Mais ça revient!!! Tenez, pas plus tard que dimanche en 8, j'ai trouvé un vieux "Hard Mag" spécial Nirvana datant de 1996 dans un vide grenier du coin... Loin de l'avoir récupéré pour les supers posters centraux de feu Kurt Cobain, non non il s'agit de bien autre chose : cette fameuse interview croisée de Buzz Osborne et Kim Thayil par Jeff Gilbert, qui vaut cent fois les quelques centimes que j'y ai mis... Enfin, d'interview, on a plutôt droit à un encensage en règle des pères du grunge, j'ai nommé les Melvins... Et aussi à un Buzz fidèle à sa conduite anti-langue de bois, tout en restant assez sérieux tout de même, j'irais même jusqu'à dire qu'il en serait presque à dévoiler quelques émotions autres que blaguistiques... Surtout, on a là matière à réfléchir à l'énorme influence qu'ont eu les Melvins dans ce mélange détonant de metal et de punk qui caractérise le grunge, et dans ce son ultra heavy amené par le groupe au sein de la scène de Seattle... Morceaux choisis : 


Jeff Gilbert : Kim, te souviens tu quand tu as vu les Melvins pour la première fois?

Kim Thayil : Je crois que c'était en 1984. L'affiche réunissait les U Men et les Melvins, et c'était au Mountaineers (un club d'alpinisme de Seattle dont la salle de réunion était utilisée pour des concerts)

Buzz Osborne : C'était le premier concert relativement important qu'on ait donné à Seattle.

Kim : Tout le monde n’arrêtait pas de me dire "Kim, tu as entendu ça?". J'étais sidéré - les Melvins étaient passés du stade de groupe le plus rapide du coin à celui de plus lent. C'était une décision aussi stupéfiante que courageuse. Tout le monde essayait de faire du punk rock, de jouer le plus mal possible, et les Melvins, eux, s'étaient mis en tête de devenir le groupe le plus lourd de la planète.

Buzz : C'était la grande époque Black Flag.

Kim : C'était juste au moment ou Green River et Soundgarden commençaient à trainer ensemble. Mark Arm, Ben Shepherd et moi-même étions sans cesse en train de parler des Stooges. On évoquait ce sentiment étrange qui nous envahissait lorsque le MC5 partait dans un trip lent et dépressif. On en a discuté énormement, mais les Melvins, eux, ne se sont pas arrèté là, ils l'ont fait. 


Jeff : Kim, qu'est ce qui te plaisait chez les Melvins?

Kim : Je trouvais qu'il était téméraire de devenir ultra lent après avoir été ultra rapide. Pour les fans de punk rock, qui pensaient que la rapidité était synonyme de puissance, ce fut un grand choc. L'une des raisons pour lesquelles ça m'excitait, c'était que cela satisfaisait chez moi un plaisir coupable, parce que j'ai toujours apprécié la lenteur dans le heavy et je trouvais que les Melvins jouaient du heavy metal tel qu'il devait être joué.
Les gens disaient ; "Si c'est lent, c'est du metal; donc s'ils ralentissent, ce n'est plus du punk". Or le metal était considéré avec mépris. Mais les Melvins n'avaient ni chanteur qui se croyait à l'opéra, ni solos égoïstement interminables. Ni ces bottes (rires), ces horribles bottes de hard rockeur!

Jeff : St Vitus, qui cherchait lui aussi à calmer le jeu à peu près à la même époque, était le groupe le plus lent du monde. Buzz, les Melvins sont-ils venus avant ou après St Vitus?

Buzz : Saint Vitus a sorti son premier LP avant le nôtre.

Kim : Vos débuts sur vinyle, vous les avez faits en 1985 sur Deep Six, qui fut le premier témoignage sur la scène de Seattle jamais enregistré.

Buzz : Ouais, même si tout le monde s'en foutait quand Deep Six est sorti. Personne ne l'a acheté!!


Jeff : Kim, même si Soundgarden est généralement crédité pour avoir lancé l'accordage en Ré dans le hard rock, vous n'avez cessé de répéter que ce sont les Melvins qui ont commencé. Te souviens tu quand Buzz t'as montré cette technique?

Kim : Je me rappelle que Buzz et moi avons assisté à un concert de Saint Vitus ensemble en 1986 après quoi nous sommes allés chez Mark Arm. On écoutait des disques en discutant de la tonalité des morceaux de Kiss, qui étaient tous en Mi bémol. Mark et moi avions justement dans l'idée de décaler nos doigtés d'un demi ton, et Buzz nous a dit que tout ce que nous avions à faire, c'était de détendre la corde de Mi jusqu'à obtenir un Ré. J'étais littéralement interloqué. A ce moment là, je jouais avec un accordage standard. Je n'allais pas me compliquer la vie à essayer des accordages différents alors que j'avais déjà du mal à m'accorder convenablement. Je veux dire, les accords barrés, c'était notre fond de commerce. Mais dès qu'on a commencé à s'accorder en Ré et à faire des expériences, on n'a plus jamais arrèté.

Buzz : Et ça a ouvert beaucoup de portes.

Kim : C'était un grand changement pour nous. Soudainement, toutes les idées que j'ai pu amener au groupe ont pris corps. Je suis allé voir les autres et leur ai dit : "Ecoutez moi ça! Vous saisissez ou Buzz voulait en venir? On n'aurait jamais pu trouver un riff comme celui là avec un accordage standard!". On a inauguré cette technique sur "Nothing To Say" et "Flower"


Buzz : C'est un truc qu'un mec d'Aberdeen - un fan de metal d'ailleurs - m'avait appris...

(...) Buzz : Prends quelqu'un comme Kurt Cobain. Il était bon compositeur, mais ce n'était pas un virtuose. C'était un guitariste moyen, et ce n'est pas l'essentiel. Des petits gratteux de treize ans branchés metal auraient pu le ridiculiser. Dans leur esprit, le fait que tu appartiennes à un groupe à succès implique nécessairement que tu sois un virtuose. Beaucoup de mômes m'ont abordé en me demandant si je savais jouer telle ou telle chose, et je leur ai répondu non!


Jeff : Kurt Cobain était t'il un loyal disciple des Melvins?

Kim : Absolument, vous exerciez une influence colossale sur Kurt, Nirvana, et sur nous, ainsi que sur Green River, même s'ils avaient suffisamment de mal à jouer en Mi pour ne pas chercher à passer en Ré. Ils essayaient de ressembler à Aerosmith et n'avaient donc aucune raison de tenter d'imiter Black Sabbath.

Buzz : C'était juste une question de coupe de cheveux. C'est tout.

Kim : Nirvana et Soundgarden sont probablement les deux groupes les plus célèbres qui aient été directement influencés par les Melvins. Les suivants l'ont été par nous. Même Urge Overkill s'accorde en Ré maintenant. (...) Dis moi Buzz, Kiss est t'il encore un de vos groupes préférés?

Buzz : Je n'écoute plus Kiss aussi souvent qu'auparavant. Mon groupe préféré aujourd'hui, c'est ZZ Top.

Jeff : On a d'ailleurs été surpris de voir que les Melvins ne figuraient pas sur la compilation hommage Kiss My Ass?

Buzz : J'ignore quelles étaient les motivations de Gene Simmons lorsqu'il a monté ce plan. J'ai l'impression qu'il cherchait à réunir un maximum d'artistes vendant énormément d'albums de façon à en vendre beaucoup lui même!

Jeff : Je sais qu'il a été impressionné par vos parodies. A t'il aimé également votre version de Going Blind (sur Houdini)?

Buzz : Je n'en suis pas très sûr. On lui a raconté que Kurt Cobain avait chanté dessus, ce qui était un mensonge. Mais il a paru s'y intéresser nettement plus après qu'on lui ai dit.


Jeff : La réussite de Nirvana ou Soundgarden a t'il eu des retombées sur les Melvins? En avez vous profité?

Buzz : Je serais stupide de croire que leur succès ne nous a pas aidés. Il y a grandement contribué. On continue lentement, mais surement, à vendre de plus en plus d'albums à chaque fois qu'on en sort un. Et lorsque je compare ma situation et les buts qui étaient les miens quand on a monté les Melvins, ce qui se limitait à peu près à jouer dans un club cool comme le Metropolis, avec ce qui s'est effectivement produit, je trouve que j'ai incontestablement dépassé de très loin mes espérances en la matière.

Jeff : L'une de ces retombées est que vous vous retrouvez associés à des produits. As tu été consulté pour la réalisation de la pédale d'effet qui porte ton nom Buzz?

Kim : Tu ne parles pas de la grunge pedal de DOD, n'est ce pas? Sur la notice on peut lire comment obtenir le son des Melvins ou celui de The Accused! Je l'ai acheté, mais pas pour en jouer, juste comme souvenir.

Buzz : C'est la Buzz Box, elle est fabriquée par DOD, mais je n'ai rien à voir avec elle. Sincèrement, tu crois que ma guitare a réellement un son aussi pourri? (rires). Ils sont cinglés chez DOD. Un type n'arrêtait pas de m'emmerder dans les concerts pour que je lui dise comment j'avais obtenu un tel son sur Eggnog. J'utilisais une Blue Box, un diviseur d'octave qui datait du début des 70's, et le type m'a annoncé qu'il voulait mettre en vente une pédale qui s'appellerait la Buzz Box et qui aurait le même son. Donc un jour il s'est pointé à un concert et a démonté ma Blue Box pour voir ce qu'il y avait dedans, puis il l'a clonée et croisée avec la Grunge Pedal pour en faire un nouveau modèle. J'admire DOD pour avoir pondu un truc aussi débile. La Buzz Box n'a pas le moindre intéret. Elle sonne comme un aspirateur (rires). J'ai fini par l'utiliser pour quelques bruitages sur Stoner Witch, mais l'album sur lequel elle a le plus été mise à contribution, c'est Prick, un disque de merde qui est sorti avant Stoner Witch, et que nous n'avons enregistré que pour son étrangeté. C'était une monstrueuse blague dénuée de sens. on s'en est pris plein la gueule à cause de ça. Prick est sorti en aout dernier, et je dirais qu'il ne comportait pas un seul élément positif susceptible de compenser ses défauts et que c'était certainement l'album le plus stupide que nous ayons fait. 

06/04/2013

Seattle Grunge's Anecdotes : les coulisses de Temple Of The Dog

Après la mort d'Andrew Wood, charismatique leader de Mother Love Bone, son ancien colocataire et ami Chris Cornell, chanteur de Soundgarden, se met à écrire quelques morceaux en forme d'exutoire...

Scott McCullum (batteur de Skin Yard et Gruntruck) : Je me souviens que Chris était vraiment furieux après Andy, juste après qu'il meure. Ça m'avait vraiment surpris sur le moment. Il le traitait de "putain d'idiot". Il était fou, vraiment contrarié de ce qu'Andy avait fait. Choqué. Et puis, il a finit par se calmer, et il s'est mit à écrire des morceaux extraordinaires.

Xana La Fuente (petite amie de Andrew Wood) : Un jour Chris m'a refilé une cassette, en me disant que c'était des morceaux qu'il avait écrit pour moi au sujet d'Andy. Mais au début c'était juste pour moi. Comme j'habitais un étage au dessus de Kelly Curtis (manager de PJ), il s'est trouvé que Stone (Gossard) et Jeff (Ament) (tous deux ex Mother Love Bone et futurs PJ) ont finit par l'entendre. Ils étaient complètement excités. Je leur ai dit que c'était des chansons de Chris, alors ils se sont mit à le harceler.

Chris Cornell : J'avais écrit "Say Hello To Heaven" et "Reach Down", et je les avais enregistré par moi même à la maison. Et puis j'ai eu un coup de fil de Jeff, disant qu'il trouvait les morceaux incroyables et qu'il fallait absolument en faire un disque. Quand on a commencé à enregistrer les morceaux, j'ai bloqué sur "Hunger Strike", j'arrivais pas à en faire un morceau cohérent. Eddie était là dans un coin du studio à attendre pour une session de Mookie Blaylock. J'étais en train de chanter, et il est humblement - mais avec des couilles - venu chanter les choeurs dans le micro, parce qu'il voyait que c'était dur pour moi. Ca a changé le morceau du tout au tout. 

Eddie Vedder : C'était le tout premier week-end que je passais à Seattle. Au quatrième ou cinquième jour, les gars avait cette session d'enregistrement pour Temple Of The Dog, juste après la notre. J'étais resté pour voir comment Chris travaillait, et pour voir Matt Cameron jouer. A un moment j'ai vu que Chris avait du mal, et je voyais aussi où il voulait en venir, donc j'ai taché de prendre le micro - et j'ai été très surpris d'avoir le cran de le faire - et j'ai chanté "Going hungry, going hungry".

Susan Silver (manager de Soundgarden et ex femme de Chris Cornell) : Ils sont allé en studio, et 10 jours après, c'était en boite. C'était juste une incroyable expérience cathartique. Un disque incroyable - un disque puissant.

Le projet ne fera pas que des heureux, puisque les propres frères d'Andrew Wood sont toujours restés, peut être à juste titre, déçu de ne pas avoir été invités à jouer sur le disque... L'album en lui même n'en est pas moins est un des plus fantastiques disques à être sorti de l'époque grunge. Du vrai rock, sombre et beau à la fois... Quelques morceaux dans la playlist Grooveshark...